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  • Photo du rédacteurCéline KEMPF

Sous l'écorce, compter les couleurs et se le dire enfin


Photomontage pour illustrer les trésors de lecture que sont les trois livres écrits par Agnès Ledig : Sous l'écorce, Compter les couleurs, Se le dire enfin

J'ai découvert l'écriture d'Agnès Ledig en 2011 grâce à une amie qui m'avait recommandé son premier roman, Marie d'en haut. Depuis, j'ai lu un grand nombre de ses livres. J'apprécie tout particulièrement la sensibilité qui transparait dans la manière d'écrire d'Agnès et qui retranscrit si bien et naturellement les émotions qui nous traversent ; ma sensibilité à fleur de peau se reconnaît si souvent dans la sienne que cela procure une délicate et réconfortante sensation de "comme chez soi".


En 2022, Se le dire enfin est venu à moi comme une rencontre impérieuse. Puis, au printemps cette année, Sous l'écorce est apparu et l'espace d'un instant, alors qu'il n'était pas à sa place parmi les rayonnages, je n'ai vu que lui. C'est enfin, grâce à cette rencontre, qui j'en suis sûre n'avait rien du hasard et qui m'a mise sur la piste de Compter les couleurs, que s'est révélé ce questionnement "Quel est cet amour si fort, si puissant qu'il peut renaître de la déchirure ?".


Vous l'aurez compris les synchronismes de l'univers m'auront amenée à ces découvertes en empruntant une voie qui n'était pourtant pas celle de l'ordre d'écriture original. Je ne peux m'empêcher de sourire de la leçon, car n'est-ce pas cela aussi la vie qui suit ses propres courants ?


Pendant qu'une partie de nos esprits peut continuer à explorer tout ce que cela implique, j'aimerais une fois encore jouer avec les triptyques et l'ordre du temps en vous proposant de commencer par Compter les couleurs... pour Se le dire enfin et qui de mieux qu'Agnès Ledig elle-même pour en parler ?


Compter les couleurs... pour Se le dire enfin


"Dans Compter les couleurs, il est question de permettre au lecteur de revenir sur le passé des protagonistes pour accueillir plus intensément leur histoire. Cela n'enlève rien au roman, cela ajoute de la matière humaine, comme une touche de lumière sur un tableau déjà abouti. Un peu à la manière de ce que l'on donne à voir aux personnes intimes qui nous entourent. Elles voient la touche de lumière sur notre tableau, invisible aux yeux des inconnus.


[...]

Le parti pris d'un roman est de raconter une tranche de vie, dans un espace défini, avec des personnages et un contexte limité. Comme chacun de nous ne montre qu'une partie de ce qu'il est à son entourage. La construction de Se le dire enfin m'offrait la magnifique opportunité de reculer ma caméra pour voir un peu plus loin dans le passé de ces personnalités, et vous faire découvrir un autre morceau du décor. J'ai aimé travailler ce hors-champ...

Ainsi, dans le roman, nous découvrons Édouard, citadin cinquantenaire, vivotant dans un couple qui ne le nourrit plus. Une lettre d'Élise, son amour d'adolescent, dont il avait perdu la trace après le lycée, va faire voler en éclat ses certitudes pourtant confortables. Il abandonne sa femme et sa vie d'avant, sur le quai de la gare de Vannes, pour chercher refuge et réponses en forêt de Brocéliande. Au fil de son introspection, au contact de quelques personnages mystérieux et striés de failles, il va découvrir en lui une hypersensibilité ignorée jusque-là."


Sous l'écorce


"Il me semble qu'un seul et unique mot englobe l'ensemble de mes récits : le respect. Respect de soi, respect des autres, respect du vivant, des ressources, des valeurs humaines qui participent à l'équilibre.


Extrêmement sensible aux injustices, j'ai longtemps rêvé de changer le monde. Il m'a fallu une quarantaine d'année pour comprendre que je n'y parviendrais pas, mais que je pouvais au moins faire ma petite part de colibri. Celui-ci virevolte au fil de mes pages...


Je vise surtout l'objectif d'être en cohérence, de défendre dans mes romans des valeurs auxquelles je tiens dans la vraie vie, de mener des combats sur des sujets qui résonnent avec mes propres convictions, liées à mon éducation, mon héritage humain, à ce qui m'anime et me nourrit. J'essaie d'agir à ma petite échelle, en changeant le récit dans mes romans, en élaborant avec mon mari un modèle de vie proche de la nature et de la simplicité.


Nous n'avons pas besoin de paillettes, mais de paille pour protéger nos chevreaux et notre potager. Nous ne faisons pas tout un foin de sujets orageux, mais nous faisons les foins avant que l'orage ne s'abatte sur eux.


Nous n'arrachons pas d'arbres pour construire des supermarchés mais nous greffons des fruitiers en espérant que ça va "super marcher".


Nous n'utilisons pas de pesticides tueurs de biodiversité, mais nous fabriquons des hôtels à insectes pour mieux les protéger.


Nous n'accaparons pas l'eau, les terres, les espaces protégés pour toujours plus de profit, mais nous partageons avec nos voisins nos graines jardinières, nos outils, notre savoir-faire.


Et tout cela ne sera jamais assez. Quoi que nous fassions à l'échelle individuelle, la voiture file en trombe vers le mur, et nous sommes toutes et tous des passagers attachés à notre siège par une ceinture d'insécurité. Le seul réconfort de l'action personnelle est de se dire que nous ne sommes pas restés les bras ballants en attendant la fin. Qu'en les agitant, pour lever le point ou saisir un outil, pour tendre la main ou se protéger les uns les autres face aux tempêtes, nous avons fait notre part."


Se le dire enfin


"Assis au bureau face à la fenêtre, une page blanche devant lui et un stylo à la main, il réfléchissait. La carte postale destinée à Élise - trouvée à l'office du tourisme en face de l'église du Graal - l'attendait, fière et calme comme l'arbre multicentenaire dont elle était l'image. Il regardait dehors en réfléchissant à la façon dont il allait commencer et finir son courrier. Difficile de faire court quand débordent des dizaines d'années de mots cachés, de phrases enfouies, d'émotions enterrées et d'espoirs bannis. Il avait tant de choses à lui dire et en même temps si peu. Un "je t'aime toujours Élise" résumait à merveille le chantier de fouilles qu'il avait entrepris voilà des jours sur les vestiges de son adolescence. Mais comme un musée soigne la présentation de ses œuvres, Édouard voulait y mettre les formes et s'offrir la chance de faire revivre son Pompéi à lui.

Il n'avait toujours rien écrit quand il vit revenir Gaëlle, puis Adèle. Sa petite chambre en hauteur faisait tour d'observation. Gauvain était arrivé un peu plus tard, un panier en osier plein de champignons accroché au bras. Ainsi se profilait le menu du soir.

Il s'était enfin décidé pour "Ma chère Élise", et venait de le coucher sur le papier, d'une écriture émue, quand il entendit le piano du salon. Malgré le son étouffé, il distinguait la mélodie. Son cœur se mit à battre, sa respiration s'accéléra. Il fallait qu'il sache. Il dévala l'escalier et ne chercha même pas à retrouver un semblant de contenance avant d'entrer dans la pièce où les mains d'Adèle dansaient sur les touches de l'instrument. Le souffle court et le regard perdu, il garda la clenche de la porte en mains quelques instants, puis s'assis sans bruit sur un coussin de sol dans un coin du salon.

— Ça va ? lui demanda Gaëlle alors que l'instrument vibrait encore de ses dernières notes.

— Ce morceau...

— Elle le joue si joli, dit Suzann depuis son fauteuil près du fourneau où une petite flambée réchauffait l'ambiance.

— Pourquoi tu as joué celui-là ? la questionna Édouard."

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